Deux de tension

Publié le par wandess

J’avais passé une bonne partie de la nuit à bavarder avec Ludivine, et une fille que ses amis appelaient Kiki. Elle m’avait expliqué que les canons habituels de la beauté étaient une dictature de plus, tout cela pour me faire bien comprendre que si je lui disais non cela ne me laissait que deux options. La première, j’étais une victime de la dictature, notamment de celle des marques et de leur publicité. La seconde, je fonctionnais avec cette dictature et j’étais du côté des bourreaux. Impossible de lui faire entendre quoi que ce soit à cette crève la faim. Ce fut plié, si je ne dormais pas avec elle, j’étais un salaud. « Quoi, tu es tout seul, et un mec tout seul ça veut tirer son coup c’est normal… ». J’avais fini par parler de Karine. « Elle est belle, elle ressemble aux filles des magasines c’est ça ou je me goure ? ». Elle ne se gourait pas. « Va reste dans ta misère avec tes putes de magasines ! » avait-elle fini. J’étais passablement beurré. Kiki aussi. J’avais envie de la frapper sur la tête avec un gros poisson ou une énorme côte de bœuf, mais comme je n’avais ni l’un ni l’autre sous la main je me suis contenté de faire un trou dans sa jupe sans qu’elle ne s’en rende compte. C’était un geste stupide, mais pas gratuit de ma part. J’ai toujours eu du mal avec les gens qui raisonnent comme des commodes et philosophent en rangent les autres dans leurs vieux tiroirs.

 

Toujours est-il que je me suis réveillé dans une chambre poussiéreuse avec le nez en trompette. Mon dos se souvenait encore de cette maudite literie. Et j’étais enfermé. Il était midi passé. Il m’a fallu remettre de l’ordre dans mes pensées. Ce fut laborieux. Enfin je me souvins, et je remis la main sur la clé de la chambre. Je n’avais rien trouvé de mieux pour me débarrasser de ce sparadrap de Kiki.

 

La grande salle du rez-de-chaussée était déserte, pas âme qui vive à part Karim derrière le comptoir. Mais le sol était loin d’avoir été nettoyé de la veille. Il était derrière son PC et bossait sur du flash, sur une de ses dernières créations.

 

_ Il y a des croissants et du café dans la cuisine, me fit-il.

 

Je revins mieux armé. Je lui pris une clope, j’avais oublié mon paquet en haut. Il en profita pour me montrer les dernières améliorations qu’il avait mises sur le site de notre député chéri. On vit comme on peut. Lui il avait l’hôtel et ses maigres revenus. Des surfeurs et des surfeuses peu exigeants venant squatter pour une bouchée de pain dans son hôtel miteux. Ils passaient la journée sur les vagues. Ils n’étaient pas exigeant sur la cuisine. Comme sur les chambres. Il n’y avait que pour les draps qu’ils voulaient du propre.

 

_ Non, on marche mieux qu’avant, me fit-il. On remplit beaucoup mieux. Là on a douze chambres, c’est pas mal… Et on attend encore du monde.

 

Il m’expliqua brièvement comment il s’était fait un nom auprès de quelques fanas de surfs, et dans des associations d’étudiants. Il promettait des vacances pas chères. Il y avait des lits, des vélos, des combinaisons et des planches compris dans le prix. Entre chambre d’hôte et hôtellerie en somme. L’esprit communautaire et système D. Presqu’une autre époque…

 

Ludivine est arrivée éreintée en nous demandant amusée si nous comptions dépasser les deux de tension avant la fin de l'après-midi. « Tu as fait un footing ? » demandai-je. Elle fit le tour du bar pour venir me faire la bise. Oui j’avais bien dormi. Non elle n’avait pas couru, elle c’était tapé le ménage dans quatre chambres qui attendaient du monde pour le week-end. Pour le reste il y avait une canalisation qui avait encore pétée dans la dix-neuf. Karim soupira en demandant si ça ne pouvait pas attendre.

 

_ Attendre quoi ? l’interrogea Ludivine.

 

_ Que je me prépare psychologiquement ! répondit-il en se roulant un gros joint.

Publié dans Altencia (Fiction)

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