Il y a quelque chose de pourri en mon royaume

Publié le par wandess

J’ai balancé le journal directement à la poubelle. Il parlait encore de la noyade de Kiki. En ce moment la presse locale n’avait plus grand-chose à se mettre sous la dent. Il y avait bien ce mouvement anti-nucléaire qui avait installé son campement dans le coin. Un village auto-suffisant ils appelaient cela. Sauf dans le journal du coin, où on n’en parlait pas. Rien d’étonnant d’ailleurs si on y réfléchit. Si bien que Kiki était revenu une fois de plus sur la table. Et dans les discussions de la ville. Il n’y avait rien de nouveau pourtant. Mais ils avaient fait du neuf avec du vieux : ils « fêtaient » à leur manière les deux semaines de la tragédie. « Ils veulent la tête du maire, c’est évident… » remarqua Christophe en sortant du transat. Il devait reprendre son travail à la scierie, il a descendu la fin de sa bière en un claquement de doigts et a descendu les marches en soupirant. Le bois grinçait et toute la terrasse vibrait.

 

Ma terrasse était sur pilotis. Un bon demi-mètre de haut. Huit pieds. Malheureusement il y en avait un de pourri. Nous y avions jeté un coup d’œil. Si aucun autre pied ne venait faire le malin tout irait pour le mieux. Tout l’intérêt de répartir les charges. Comme moi. Je pouvais très bien tenir sans Karine. Facile. Même le mépris. Je le gérais. Seulement il fallait que les autres pieds tiennent le coup. Il y avait toujours un risque. Il n’y a qu’en ne bougeant pas de sa chaise qu’on n’a pas grand-chose à craindre. Ensuite dès qu’on veut vivre, prendre part à son existence, il y a toujours le risque. On ne peut être satisfait, content de soit, qu’en réussissant certaines choses. Et pour réussir, être heureux, il faut, c’est malheureux, prendre parfois le risque de se rater, voir carrément de se mettre la gueule par terre.

 

_ Tu vois, fit Karim, moi c’est pour cela que je ne lâcherai pas sur l’hôtel. On a pris pas mal de fric avec Sylvette et Jean Piéri, mais je ne compte pas faire cela toute ma vie… L’hôtel je le sais ça peut marcher et ça marchera. C’est un des endroits les plus cool du monde. J’ai tort ?

 

Non, j’étais de son avis :

 

_ Non, il est merveilleux cet hôtel… Et cet endroit aussi… Mais je ne peux pas blâmer Ludivine… Toi non plus d’ailleurs…

 

_ Franchement m’annoncer ça comme ça, d’un coup… reprit-il. Je trouve franchement que les femmes nous posent pas m’al d’ennuis en ce moment… dit-il en s’allumant un autre joint. 

 

Il était cuit. Et moi aussi. Le soleil tapait fort. Il a fallu ce moment là, le silence complet, une parenthèse de paix, ce répit, pour que Jessica arrive. Depuis mon retour je ne l’avais vu que trois fois, et nous ne nous étions qu’à peine parler. Elle descendit de son 4x4 et s’apprêtait à monter les marches jusqu’à chez Céline et Christophe lorsque Karim se sentit obligé de siffler : « Eh joli blonde même pas un baiser ? ».

 

J’avais du mal à y croire. Jessica. Chez moi. Dans un de mes transats, sirotant une vodka-pomme et tirant sur un joint. Comme cela elle avait l’air très cool. Pas la fille que j’avais laissée quelques années plus tôt. Pas celle-ci. Non, plutôt celle que j’avais connu avant et qui avait fait mon bonheur. On parla de tout et de rien. Sûrement pas de nous. Et c’était bon, léger et sucré. J’avais trop bu. Je la trouvais sensationnelle. Karine me sortait de l’esprit. J’avais trouvé un antidote miracle : Jessica.

 

Puis brusquement tout commença à trembler :

 

_ Je n’aime pas Karine, fit-elle. Bien des personnes peuvent en témoigner… Mais je la comprends. C’est dur d’apprendre par les journaux que ton mec t’a trompé…

 

Je soupirais. Je me mordais les joues. Je me tordais les mains.

 

 

Deux fois en une vie c’est beaucoup, sifflais-je. Deux fois c’est trop. Il y a fort longtemps une fille que j’aimais comme un fou m’a plaqué parce que sa meilleure amie lui a inventé un mytho…

 

_ Pourquoi t’aurais-je cru et pas Mindy ? fit-elle.

 

Je transpirais. Trop d’alcool dans mon sang. Ma tête me tournait. Le sol semblait remuer sous mes pieds.

 

_ Parce que Mindy est une mytho… Comme cette Kiki qui est allé raconter n’importe quoi pour se faire mousser. Et qu’un con est allé raconter ça à un journaliste, et que se journaliste n’a rien trouvé de plus intelligent à écrire…

 

_ Mon pauvre…

 

_ Mindy n’a jamais été capable de répéter devant nous deux ce qu’elle t’avait dit… toi ça ne t’a jamais mis la puce à l’oreille ?

 

_ Moi ce que j’ai compris c’est que je n’en pouvais plus d’être avec toi !

 

_ Donc c’était une excuse ?

 

_ Après tout ce temps qu’est-ce que ça peut te faire ?

 

A priori ça n’aurait du rien me faire. A priori. Seulement je manquais de force pour boxer un bon coup là-dedans et envoyer le truc ailleurs. J’ai senti le sol trembler sur moi. Cette fois beaucoup plus sérieusement.

 

_ Je m’en vais, fit Jessica. Vraiment je ne sais pas pourquoi j’étais contente de te revoir. Il y a des gens qui savent tourner la page… Mais pas toi !

 

Elle commença à se relever pour s’en aller, l’air mauvais. Seulement le sol tremblait vraiment, la terrasse du moins. On descendit tous d’un bon demi-mètre, les transats cassèrent tous dans la chute. De toute évident il y avait plus d’un pied de pourri.

 photographie par PARANOIA : www.likeamonster.joueb.com

 

Publié dans Altencia (Fiction)

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article